LA PHOTOGRAPHIE PROFESSIONNELLE EN SUSPENS ?
Préparer une intervention auprès de lycéens sur le métier de photographe m’a beaucoup travaillé. Ayant connu l'argentique, le numérique, le digital et suivi les cours d’innovation de l’Ecole des Avocats de Strasbourg, je fus forcée de constater, à l’aube de mes 15 années d'exercice, que la photographie traditionnelle avait passé le cap du simple sursis.
Mon analyse pour l’avenir est simple. Quel regard porter sur les nouvelles technologies ? Quelles finalités ont-elles vraiment ? Sont-elles éphémères ? Les plus motivés à s’engager doivent absolument prendre conscience que cette évolution pourrait mener vers un véritable désert professionnel.
EXPLICATION DU CRASH EN 4 POINTS :
- Le passage de l’argentique au numérique : le mimétisme réussi d’une technologie de transit.
Le numérique a réalisé le parfait mimétisme de l’argentique : mêmes boîtiers mêmes réglages … Si les pixels ont remplacé la chimie où l’ISO s’est substitué à l’ASA et le bruit au grain, ce fut dans le respect de la discipline. Un gain de temps considérable et un matériel moins contraignant furent une levée d’obstacles pour les professionnels nomades.
Le numérique, une technologie de transit ? Sans doute vers ce que j’ai nommé le “NO MAN’S WORK” (poste de travail déshumanisé) qui désigne le vide humain généré par les innovations remplaçant l’exercice pur des métiers et créant des intermédiaires économiques virtuels bouleversant l'indépendance des entrepreneurs à leur profit.
- Le glissement du numérique vers le digital : une intuitivité cultivant l'amnésie du savoir-faire.
A l’inverse, le digital se démarque de son prédécesseur par une intuitivité garantissant des résultats bluffants sans connaissance et par un design ultra-minimaliste, en bref les smartphones. Avec habileté, l’art s’efface pour se réduire à quelques options d’application, laissant son “utilisateur” dans l’ignorance du processus créatif.
Le digital a-t il démocratisé la photographie ? Publier sur Instagram n’a jamais permis d’apprendre le 7ème art ! C’est un marché de consumérisme virtuel, en somme, du vent. Le digital n’est pas matériellement un outil de travail, c’est un objet permettant d’agir en connectivité avec sa sphère sociale et il est important de faire cette distinction.
Progressivement, le savoir-faire et le savoir-être du photographe tombent aux oubliettes. Liberté d’expression et pluralisme artistique sont sacrifiés sur l’autel de la conformité. Il faut non plus solliciter l’intellect avec un travail qui a du sens, mais exciter la rétine de manière comportementale pour cumuler des likes et suivre le diktat du marketing.
- Le bras de fer : l’achèvement économique de la profession par l’uberisation
UBER veille sur vous. Tel un miroir aux alouettes, vous lui confiez votre indépendance. Comme un coursier Deliveroo vous ne constituez pas de clientèle personnelle. Cet entreprenariat déguisé détricote le salariat et votre protection sociale. Ces plateformes se dégagent de toute responsabilité, vous vous auto-facturez.
Ces plateformes génèrent de faibles commissions destinées à des activités photographiques accessoires et non principales. Vous êtes une sorte d'intérimaire sans code du travail. Les exigences sont chronophages. Vous supportez un grand nombre de charges obligatoires et n’êtes pas formés à la gestion d’entreprise. Vous découvrez de graves incidences sur vos droits au chômage et à la retraite.
- L’ère digitale combinée à l’intelligence artificielle : obsolescence professionnelle et stratégie du non-retour
Le photographe perd (son) pied. La pratique traditionaliste de son métier est reléguée aux temps des dinosaures. Si le digital obéit au doigt et à l'oeil telle une prothèse intellectuelle, l’intelligence artificielle elle, remplace carrément l’intellect, le doigt et l’oeil. Paix à son art.
Cette intelligence autonome évolue. Déclenchement, mise au point, reconnaissance faciale, post-traitement automatique, tirages ... L’installation des bornes sur les événements est un cheval de Troie. La technologie se substitue à la profession en s’accaparant son activité. Parlerons-nous un jour de concurrence déloyale ?
Comment expliquer sereinement à la nouvelle génération de photographe que l’avenir avec un grand “A” sera avec un grand “Ah?"?. Si je perçois encore le souffle de mon métier auprès de mes confrères, chacun se pose la question : a quel moment faudra-t-il quitter le navire ? (-katamawan-). Avant de rejoindre les bancs judiciaires, je m'enivre encore des rires d’enfants, des larmes d’aimants, de vos remerciements lorsque mon regard révèle votre splendeur. Et si aimer est immuable, la passion peut avoir une fin, la fin d’une passion qui rimera avec innovation.
Claire LEGUILLOCHET